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rêvé un matin d'octobre 2024
par Maude Pilon


Les vraies couleurs

S’agit-il bien de cela ? Je lance en l’air ses chandails et ses pantalons bien pliés.Contemple les tissus chus au sol qui prennent lentement la couleur brune du tapis. Ça ne me surprend pas.

Dans le couloir de l’hôtel, debout parmi les jupes et les chemises, j’engueule une sainte. L’appelle Louise. Lui reproche ses vêtements, car ceux-ci me semblent beaucoup trop sobres pour ce qu’on a à faire. Qu’a-t-on à faire ?

Ça ne me surprend pas non plus que le tapis remonte sur les murs jusqu’au plafond.

Je sais que, dans ce court corridor, il y a derrière les portes closes des personnes qui m’écoutent me plaindre. J’en ai pleinement conscience et cela m’affecte sensiblement. Je ne parviens pas pour autant à retenir mes invectives dont je ressens le propos avec une excessive assurance : les vêtements de Louise sont inappropriés. Il y a pourtant du choix. Tu le savais, Louise. Le vert. Le bleu. Les rayures. Surtout les fleuris. Tu le savais, Louise, tu le savais. Je crie tu connais les vraies couleurs, tu les connais par cœur, tu es au courant de leur innocence.

Au bout de quelques instants, Louise sort de son impassibilité ; elle avait été jusque-là d’une évanescence agaçante. Son corps devenu soudainement intraduisible, je comprends alors qu’il a sa langue de rêve. Ses mots sortent comme s’ils n’étaient adressés à personne, j’appelle mon procès, j’appelle mon procès. Et moi, je lui reproche encore, toujours au passé, comme si nous avions une longue histoire ensemble qui me terrassait de douleur, tu connaissais pourtant les vraies couleurs, Louise, tu savais tout.

Soudainement, des portes s’ouvrent, et je suis inconsolable. Il ne me semble pas avoir la possibilité de m’expliquer aux personnes qui, sans me regarder, fuient vitement au bout du couloir vers la sortie. Louise a changé de ritournelle, je ne me défendrai de rien, je ne me défendrai de rien. L’éclairage me semble alors insoutenable. Je cherche un interrupteur, cherche l’interrupteur avec moi, Louise, aide-moi, Louise.

Comme assommées par la lumière blafarde, Louise et moi avons maintenant glissé au sol. Le tapis est volontaire et désireux de couvrir nos corps. Ça ne me surprend pas. Nous prenons sa couleur et sa texture. Toutefois, je ne comprends pas pourquoi Louise est assise si près de moi. Est-elle blessée ?

Une personne sortie d’une chambre se penche doucement sur Louise et lui annonce qu’il y a une méthode qui n’implique pas le bûcher. Il y a une méthode qui n’implique pas le bûcher. Je sais que Louise est Louise Michel et je sais qu’elle connaît les vraies couleurs. Je voudrais savoir si elle a mal quelque part, je suis inquiète, souhaites-tu que je témoigne ? Louise m’entend-elle ? Elle est occupée par la personne penchée sur elle. Attrape ses poignets. Je sais que cette personne est María Zambrano, il y a une méthode qui n’implique pas le bûcher, et María à son tour se laisse glisser au sol près de Louise qui lui répond d’une voix claire et unique, je n’ai plus rien de réel à brûler, j’ai rédigé toutes mes vies à l’aide de métaphores, il ne me reste qu’à raconter les rêves dans lesquels j’ai agi. Répond-t-elle vraiment cela ou offre-t-elle un aparté à propos d’une théorie des couleurs ? Louise se hissant du sol nous laisse là, María et moi, couvertes de tapis bruns. Elle s’éloigne et je cherche encore son attention, dès que tu raconteras tes rêves, Louise, tu seras du côté de l’interprétation.